«C'est intéressant ça... d'une certaine manière, c'est plus utile.» Il se tut quelques instants pour réfléchir. « Si tu veux mon avis, tu n'interprètes pas le texte. Regarde...» Il pointa du doigt un mot qu'il reconnaissait dans le texte. «Ka'Ven'Ush'Ta... et ici... gihen, ça veut dire partir, c'est en tout cas son sens moderne... Là virrirt... ça doit venir de virreren, perdre? Je suis pas traducteur, mais pour moi, là, il parle de son départ de la capitale, et du fait qu'il s'est sans doute perdu au cours d'un voyage.» Il lui jeta un coup d'œil amusé. « Ça ne correspond pas avec ce que tu vois. Je pense que tu vois plutôt ce que l'écrivain avait en tête en écrivant ce passage. Tu ne l'interprètes pas, tu vas au-delà des mots. Cela te semble-t-il plausible?»
Visiblement, la jeune femme n'avait pas l'habitude de déchiffrer des textes à l'ancienne, sinon elle aurait tout de suite remarqué que ses visions ne cadraient pas totalement avec le peu qu'ils arrivaient à en lire. Elle s'était probablement reposée sur son Don et malgré un certain talent avec les langues, elle n'avait jamais appris la méthodologie de la traduction.
Il tira un siège à côté de celui d'Isabeau pour se pencher sur le texte.
«Ça, c'est un mot qui ressemble à du Kaled'a'in ancien... C'est très déformé, mais à voix haute, c'est proche. Ça a le sens de voyage intérieur... ou quête mystique... ou initiation.» Il sourit. «Je n'avais jamais remarqué l'apport de cette langue dans l'iftélien moderne. Sans doute que ça s'est perdu en cours de route...»
En même temps, cela n'avait rien de très surprenant. Parmi ceux qui s'étaient retrouvés catapultés à Iftel devaient se trouver quelques Kaled'a'in. Ils avaient sans doute influencé la nouvelle langue de manière minime, mais néanmoins perceptible, dans les anciens textes au moins.
« On va avancer un peu dans le texte, d'accord?» Il tourna rapidement les pages et s'arrêta au hasard. « Vas-y, recommence. On va voir si tu vois autre chose.» Il sembla soudain avoir une idée. «Je te conseille de poser les mains sur le texte... de suivre une ligne du doigt... d'être en contact avec le papier.»
Fiersaule n'aurait su dire pourquoi cela lui semblait important, mais dans tous les cas, toucher le papier ne pourrait pas faire de mal. Au pire cela ne changerait rien pour Isabeau.
Pendant qu'elle se concentrait sur son Don, il essaya de trouver de quoi parlait le passage en cherchant des mots familiers.
[ En te penchant sur cette nouvelle page, tu as à nouveau des visions. D'abord tu vois toujours le même homme, assis à une table, qui rédige. Il te semble plus âgé que dans la précédente vision. Puis, se surimpose sur cette première vision une deuxième image: tu vois l'intérieur d'une grotte, tu entends le glougloutement de l'eau quelque part, tu revois l'homme, jeune cette fois, entouré de quelques kyrees. Il est blessé et très maigre. Si tu touches le papier, la connexion semble meilleure.]