Les relations avec les parents sont toujours quelque chose de délicat, car tout enfant par sa place dans la filiation attend de ses parents d'être le modèle à suivre ce qu'ils ne sont pas souvent.
J'ai longtemps haï mon père pour le travail qu'il faisait, le temps sur la route, sa présence plus qu'erratique, et ses absences à répétition. Je détestais savoir que je serai sans lui constamment, je ne supportait pas les week end où je m'enfermai dans ma chambre pendant qu'il continuait à bosser, on finissait d'ailleurs souvent le dimanche soir en engueulade avant de ne plus se parler. Je le haïssais d'avoir tiré un trait sur ses rêves pour prendre son job de merde qu'il détestait et qui l'éloignait de nous. Comment un détenteur d'un doctorat en biologie marine et en biochimie pouvait finir commercial... Certes il gagnait bien mais tout ca pour du fric? Ca me débectait, me donnait envie de vomir.
Jusqu'à une opération chirurgicale qui a mal tourné... Hémorragie et tout le reste, coma pendant 2 jours, j'ai cru qu'il y passait... J'étais déjà bien vieux, je passai mon temps chez ma copine de l'époque, elle m'a dit un soir "reste c'est pas grave tu iras demain". J'avais ma mère en larme au bout du fil. J'ai pris la voiture et je suis rentré chez moi à 180 sur la rocade. J'ai appris à cette période que si il avait tiré un trait sur ses rêves c'était pour nourrir le petit truc chiant et gueulard qu'ils avaient à la maison (c'est à dire moi). Qu'il avait fait tout ca... Pour moi. Qu'il s'était éloigné... Pour moi.
Je ne l'avais jamais vu ainsi, mais la seule chose qui le permettait de tenir dans un boulot qui lui donnait envie de vomir c'était de savoir qu'il le faisait pour ses enfants... Ce jour là j'ai réellement vomi, de dégout envers moi, je me suis aussi pété la main en tapant dans un mur, tout cette colère que j'avais envers lui, je la retournai maintenant envers moi... Je n'avais rien compris, et il ne m'avait rien expliqué....
J'ai cru le perdre et je me suis rendu compte que je haïssais pour des choses dont il n'était pas responsable, il était trop fier et trop orgueilleux pour m'expliquer tout ca, et j'étais trop con et trop jeune pour le comprendre.
Je me suis rendu compte depuis qu'il est le seul qui se souvient du prénom de toutes les personnes que j'ai pu croiser (et de mes conquêtes), qu'il a gardé dans un coin des photos de mes premières sorties au ski avec lui (et pourtant dieu seul sait qu'on s'engueulait à ce moment là, j'ai jamais réussi à tenir sur des skis, j'ai toujours préféré les snow, alors que pour lui c'est comme si il mettait des chaussures), il avait aussi gardé des dessins de moi que je déteste, et des cadeaux que je lui ai fait en primaire, et tout cela je ne l'ai jamais su, ou plutôt je n'ai jamais cherché à le savoir.
Les maladies se succèdent et se ressemblent, cancer et rechute, aujourd'hui j'ai de nouveau peur de le perdre, je sais que le temps qu'il nous reste est précieux, et je regrette terriblement ces 22 ans que j'ai passé à le prendre pour un être distant et inexistant dans ma vie, à retourner ma colère et ma frustration sur lui, je regrette surtout nos egos de mâle bouffis de suffisance et de fierté, qui ont amené à cette situation d'incompréhension qui nous a fait perdre un temps que je ne rattraperai jamais.
Nos parents ne sont pas parfaits, ils ne le seront jamais, mais... Mais parfois ils attachent de l'importance à des choses, à des détails pour nous, dont on ne se douterait pas.